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Philippe Tailliez ou le père de l’écologie marine
lundi 4 juin 2007, par
Outre les fréquents entretiens avec Philippe Tailliez, avec ceux qui le connaissaient depuis longtemps ; outre ses livres et ses articles dont ceux parus dans les rares exemplaires de « La Lettre du GRAN  », j’ai utilisé pour cet article entre autres le livre de Patrick Mouton
« Philippe Tailliez, le père de la plongée  » paru chez Glénat, le livre d’Yves Paccalet « Jacques-Yves Cousteau  » édité chez JC Lattés, le Gallimard sur « l’Archéologie sous-marine  » de Jean-Yves Blot...
J’ai connu très tard Philippe Tailliez - en fait, il y a juste 22 ans - quand nous avons commencé la fouille du Slava Rossii, ce vaisseau russe coulé en 1780 sur l’île du Levant. Il avait alors 75 ans et plongeait comme un jeune homme.
Autour de lui et avec lui, nous avons créé, en 1982, avec le capitaine de frégate Max Guérout, le GRAN, ce Groupe de recherche en archéologie navale, dont il a assuré la présidence, directe d’abord puis d’honneur depuis 4 ans, jusqu’à sa mort le 26 septembre 2002. Et beaucoup de ses amis ou disciples : universitaires, biologistes, plongeurs de la Marine ou de la Fédération (la FFESSM, la Fédération française d’études et de sports sous-marins dont Philippe fut l’un des fondateurs) vinrent le rejoindre dans cette association. À la différence de Cousteau, Philippe n’était ni un meneur d’homme ni un communicateur, mais avec sa modestie, son bégaiement, sa façon de toujours donner l’exemple, il attirait autour de lui des gens de toutes origines ou formations qui venaient en toute gratuité travailler avec lui.
Par
atavisme certainement, par ses qualités physiques et morales, sa morphologie, Philippe est un homme de la mer, un « merrin  » pour employer la formule de son ami l’architecte Jacques Rougerie, plus qu’un marin. La première partie de sa vie, il sera « poisson  » puis, après la rencontre avec Cousteau et Dumas, ce sera la période « plongeur  », mais c’est à partir de son départ de la Marine, en 1960, dans ses actions pour la protection de la vie et du patrimoine maritime, qu’il va devenir le créateur, le père de « l’écologie maritime  ». Dans ses dernières années enfin, devenu une sorte de « philosophe de la mer  », il réfléchira sur l’avenir « océanique et spatial de l’humanité  ».
Le Poisson
Bien que né en 1905 sous le signe du Taureau, Philippe Tailliez fut tout d’abord un homme-poisson et même un enfant-poisson.
En effet, son père, officier de marine et musicien va lui apprendre très tôt à nager et Philippe va pratiquer très jeune toutes les nages de l’époque : brasse, batelière et même la nage indienne que l’on appelait aussi l’over-armstroke. Admis à l’École Navale en 1924, Philippe va faire partie de l’équipe de water-polo et découvrir le « crawl  ». Mais s’il excelle dans les disciplines sportives, il est moins bon dans les études plus classiques (est-ce une conséquence de ce bégaiement dont il n’arrivera jamais à se débarrasser totalement ?) et après la croisière de fin d’études sur la Jeanne d’Arc, point d’affectation prestigieuse outre-mer, mais un poste sur le vieux cuirassé Jean Bart à l’escadre de la Méditerranée à Toulon. Là , il va poursuivre plus que jamais la pratique de la natation en tous temps et toutes saisons, ralliant son bâtiment à la nage ou effectuant le trajet Toulon-Porquerolles avec juste le soutien d’une planche, protégeant simplement ses yeux de la brà »lure du sel avec des lunettes orbitales.
Après un passage à l’école des officiers torpilleurs - ce qui lui donne cette spécialité dans la Marine - Philippe est affecté sur le porte hydravion Commandant Teste. Ce n’est pas encore un porte-avions, tel que nous l’entendons maintenant, c’est un bateau chargé de mettre à l’eau et de récupérer par des grues ou des ponts roulants, des hydravions.
Très marqué par les rencontres avec tous ces marins pilotes et aviateurs dont beaucoup se sont battus contre les aéronefs allemands, notre poisson va vouloir voler ! Philippe, en effet, ne résiste pas à l’envie de se construire un « Pou du ciel [1]  » genre d’ULM, assez populaire à l’époque. L’aventure se terminera dans un piqué sur la terre dés le premier décollage, Philippe restant miraculeusement indemne. Heureusement, le ministre de l’Air de l’époque, Pierre Cot, interdira à ce moment, à tout le personnel militaire ce genre de sport, sauvant probablement notre héros, prêt à recommencer. C’est pendant ces quatre ans sur le Teste (1933-1937), bâtiment très technique, bourré d’ateliers pour l’entretien des avions, des torpilles, des bombes que notre nageur va découvrir qu’il existe quelque chose en dessous de la surface de la mer.
Il rencontre, en effet, à plusieurs reprises, un officier de marine, de 20 ans son aîné, Yves le Prieur,
inventeur impénitent, qui vient de concevoir un appareil de plongée adopté récemment par la Marine. Il s’agit d’une bouteille d’air comprimé, alimentant un masque facial (yeux, nez, bouche) par l’intermédiaire d’un détendeur à main qui doit être réglé en permanence en fonction de la pression ambiante. Un travail sous-marin est possible, mais debout, tenu par de lourdes semelles de plomb. Le tuyau d’air du scaphandrier lourd est coupé comme le câble qui vient de permettre à William Beebe de descendre dans une sphère, une bathysphère, à 906 mètres dans la fosse des Bermudes (1934), mais le plongeur est pratiquement bloqué sur le fond.
Philippe va utiliser cet appareil et découvre presque pour la première fois ce monde merveilleux d’algues colorées et de poissons familiers. Il va vouloir les photographier. Avec une vieille caméra protégée par un aquarium, puis une boîte étanche plus perfectionnée qui avait été construite pour un archéologue aérien (paradoxe) le père Poidebard, il va pouvoir prendre des vues sous la mer surtout lorsqu’il aura découvert, dans un magasin de Toulon les « palettes  » inventées par le capitaine de corvette de Corlieu : les premières « palmes  » qui sont maintenant au Musée national de la Marine.
Mais sous l’eau, il n’y a pas que la photo, et Philippe avec les palettes de Corlieu, la lunette Fernez, un pince-nez, et les premières arbalètes bricolées dans les ateliers du Teste, va faire partie de ces quelques fanatiques qui découvrent en ces années 1936/1937 la pêche sous-marine : le nageur devient pêcheur mais il ne va pas tarder à devenir plongeur.
Le Plongeur
En juillet 1937, Philippe est muté comme instructeur du cours d’électricité et de torpilles sur le bâtiment école Condorcet et là , il va faire une rencontre qui va modifier profondément le cours de sa vie et la réciproque sera vraie. Si l’enseigne de vaisseau Jacques-Yves Cousteau
et le lieutenant de vaisseau Philippe Tailliez ne s’étaient pas rencontrés, le monde de la mer aurait été découvert différemment.
Tailliez va entraîner dans de longues séances de natation puis de pêche sous-marine Cousteau qui vient de subir un grave accident de voiture qui lui interdit la carrière qu’il souhaitait faire dans l’aviation navale ! C’est une révélation pour Cousteau et les deux officiers sont un peu les instigateurs de la folie de chasse sous-marine qui se déclare au sein de la marine toulonnaise. Mais tous deux s’intéressent aussi à la photo sous-marine et cette activité devient même la préoccupation principale de Cousteau qui abandonne assez vite la chasse. Tailliez le suivra un peu plus tard dans cette voie sauf pendant les années de restriction qui vont bientôt venir.
En
juin 1938, Philippe plongeant aux Embiez fait la connaissance de Frédéric Dumas, ingénieur, résidant à Sanary et dont la réputation de chasseur sous-marin n’est plus à faire Il le présente à Cousteau. Le courant passe, le trio est constitué. Ils ne s’appelleront que plus tard
les « mousquemers  » mais pendant ces derniers mois avant la tempête, ils vont écumer les fonds sous-marins toulonnais. Philippe dépose un brevet pour un modèle d’arbalète : le Neptune. Ils mettent au point le masque de plongée avec un verre ovale découpé et une section de chambre à air. Le problème reste toujours la protection contre le froid. On essaye les pulls superposés, les couches de graisse... rien n’y fait et il faudra attendre d’abord les combinaisons en caoutchouc mince et surtout le néoprène.
Là -dessus, éclate la guerre de 39/45 et le trio va se disperser, chacun allant faire et largement son devoir. Dans la Marine structurée et disciplinée, l’appel du 18 juin est peu entendu. En revanche les attaques anglaises sur Dakar et Mers el-Kébir vont dissuader beaucoup d’officiers et de marins de rallier les Forces françaises libres ou les armées anglaises. Et même Philippe participera aux « combats aussi sans espoir qu’acharnés  » de quelques contre-torpilleurs français basés à Beyrouth contre la flotte anglaise d’Alexandrie en juin et juillet 1941.
De retour à Toulon après ces opérations, Tailliez va retrouver Cousteau et Dumas. Tous les trois en congé d’armistice, ils décident de se lancer dans le tournage d’un premier film sous la mer qui sera « Par 18 mètres de fond  » réalisé d’avril à novembre 1942. Tout est à inventer : boite étanche pour la caméra 35mm maniée par Cousteau, réserve d’air alimentée par une pompe qui permet de respirer jusqu’à 20 mètres, arbalète géante de Dumas, l’acteur principal de ce film. Le thème est à la fois la présentation de la faune méditerranéenne (loups, corbs, saupes, mulets...) et sa chasse au fusil sous-marin. Ce n’est pas encore très écologique, mais le succès de ce court-métrage de 15 minutes est très grand.
Après le drame du sabordage de la flotte à Toulon (26 et 27 novembre 1942), le trio décide de tourner un nouveau film qui aura pour titre évocateur « Épaves  ». La démarche
devient alors professionnelle. Cousteau obtient les autorisations de tournage des Allemands et des Italiens. Un opérateur de cinéma, Claude Houlbrecque est engagé. Mais surtout Cousteau ayant rencontré un ingénieur de l’Air Liquide, Émile Gagnan, lui a exposé les difficultés rencontrées avec leurs équipements de plongée pour adapter la pression à la profondeur. Or ce dernier a sous la main un détendeur qu’il vient de faire réaliser pour un gazogène.
Ce détendeur va aux prix de légères modifications s’adapter aux bouteilles d’air comprimé. Le Cousteau-Gagnan est né. Les premiers essais ont lieu début 1943, dans la Marne, et en juin de cette même année, les trois premiers exemplaires de ce qui va devenir le Cousteau-Gagnan, arrivent à Bandol pour le tournage. L’impact de ce film de 28 minutes, malgré les difficultés de l’époque où il paraît, est énorme, autant comme documentaire que comme performance cinématographique et surtout démonstration des possibilités du scaphandre autonome.
Et au printemps 1945, lorsque le trio encore dispersé pendant les mois de la Libération, se retrouve de nouveau à Toulon, le chef d’état-major de la Marine leur demande de développer et de perfectionner cet appareil et de participer à la gigantesque tâche de déblaiement des épaves et des munitions jusqu’à présent du ressort des scaphandres lourds. Ainsi est créé le « groupe de recherches sous-marines  » qui ajoutera plus tard le terme « études  » devenant le GERS, qui s’installe à Toulon dans un blockhaus et surtout qui va être commandé par Tailliez jusqu’en 1949.
Le groupe va perfectionner le scaphandre autonome et développer ses conditions d’emploi. Un manuel de plongée co-signé par les trois Mousquemers et leurs complices Alinat et le Dr Deville va ainsi paraître en 1947. Il se dote d’un bâtiment de plongée de 500 tonnes l’Élie Monnier et l’accident mortel survenu à Maurice Fargues, l’un des membres du Groupe, lors d’un essai de plongée profonde (17/09/1947) ne fait qu’accélérer les recherches sur les tables de plongée et les caissons de recompression.
En 1948, le GRS va participer activement aux essais peu fructueux du bathyscaphe FNRS2 du professeur Auguste Piccard à Dakar, après avoir retrouvé et fouillé l’épave romaine de Mahdia au large de la Tunisie.
En 1950, Tailliez est nommé au commandement d’un « tender d’aviation  » le Marcel Le Bihan [2] avec lequel il va participer à la campagne d’Indochine.
Il en revient en 1952 pour prendre le commandement du GERS. Le trio s’est dispersé. Cousteau s’est lancé dans l’aventure de la Calypso plus ou moins suivi par Dumas, mais surtout la plongée autonome s’est développée et banalisée avec une vitesse considérable et avec des conséquences aussi bien positives (intervention sous la mer, sauvetage, recherche scientifique) que négatives (pillage des épaves, pêche illicite). Et c’est surtout autour du nouveau bathyscaphe, le FNRS3, sans Piccard mais avec toute une équipe nouvelle de brillants ingénieurs et marins : Gempp, Houot, Wilm, que le groupe d’essais va travailler. Cela n’empêche pas Philippe de publier en 1954, chez Arthaud, son premier livre « Plongées sans câble  » presque en même temps que Cousteau et Dumas font paraître « Le Monde du Silence  ». La plongée autonome est devenue adulte puisqu’on écrit son histoire.
En 1955, la Marine qui n’a peut-être pas parfaitement décelé l’originalité et les capacités de Philippe Tailliez, le nomme au commandement de la flottille du Rhin. Comme en Indochine, il y a 5 ans, le découvreur des profondeurs océanes est envoyé dans les eaux douces et noires. Et c’est en Allemagne que Tailliez va faire la connaissance d’un dénommé Heinz Sellner qui va l’entraîner dans l’aventure aussi curieuse que sans issue de l’Aquarius bathyscaphe fonctionnant soi-disant sur le principe de la liquéfaction d’un gaz.
Ce projet, dont la faisabilité est loin d’être évidente, semble-t-il, va passionner Tailliez qui persuadera même Cousteau de le financer quelque temps. Jamais le prototype mis à l’eau à Toulon en 1959, ne daignera plonger. Et en 1961, dans un ouvrage intitulé « Aquarius  », Tailliez admet l’échec, mais justifie son obstination par l’intérêt qu’aurait présenté cette invention si elle avait été réalisable. En fait, cet épisode est très caractéristique de « l’humanisme  » de Philippe qui a été complètement séduit par Sellner, son récit de son évasion de Mourmansk, son « culot  » et sa débrouillardise.
En 1956, Philippe quitte la flottille du Rhin pour revenir à Toulon où il va créer et prendre le commandement de l’école de plongée de la Marine : affectation, cette fois-ci, conforme à ses goà »ts et surtout à ses capacités.
Il y restera jusqu’à son départ en retraite de la Marine le 1er octobre 1960. C’est pendant ce séjour à Toulon, à l’été 1956, que Philippe va effectuer avec le concours du GERS, la fouille de l’épave romaine du Titan, à la pointe de
l’île du Levant. C’est pratiquement le premier vrai chantier d’archéologie sous-marine réalisé en France avec dessins, photos, relevés ; tout ce qui n’avait pas été assez fait sur le Grand Congloué quelques années plus tôt. Le plongeur s’intéresse à l’environnement et au patrimoine.
L’Écologiste
Avec son départ en retraite, il se produit une mutation profonde dans la vie et le comportement de Tailliez. Dans la Marine, il a été un très bon officier, discipliné, acceptant sans récriminer certaines affectations comme l’Indochine ou le Rhin qui ne semblaient pourtant ne pas correspondre à son « génie  ». Chaque fois, il saura en tirer le maximum y compris dans le domaine de la plongée.
Maintenant, il est libre, relativement connu, sollicité ; il s’est déjà lancé dans la vie associative avec la création de la FFESSM. En 1960, il est élu président du comité technique de la Confédération mondiale des Activités subaquatiques (la CMAS) dont Cousteau sera président. Un peu plus tôt, avant son départ de la Marine, on lui avait proposé le poste de directeur du Musée océanographique de Monaco. Il refuse et c’est Cousteau qui prendra ce
poste. Il va refuser aussi, malgré les offres de Cousteau, d’embarquer réellement sur la Calypso.
Libre il est et libre, il veut le rester pour observer la mer et les Hommes.
En revanche, en 1960 - riche année pour Philippe - il va publier « Nouvelles plongées sans câble  » puis il s’impliquera de plus en plus, concrètement, personnellement, discrètement aussi, dans la protection du milieu sous-marin. Il sera en 1963, aux côtés du professeur Pérès, un des fondateurs du parc national marin de Port-Cros, l’un des premiers créés au monde. Il en deviendra le conseiller scientifique. Avec des chercheurs comme Nardo Vicente, des plongeurs démineurs, des volontaires, il organisera pendant près de 20 ans, sous le nom de Poseidon, l’inventaire de la faune et de la flore sous-marine du parc.
Il va aussi être sollicité pour siéger au sein de la Fondation Ricard et participera à la création de l’observatoire de la mer sur l’île des Embiez. Plus tard, dans les années 70, il va contribuer à la création, avec le biologiste J.M. Astier, à Toulon, d’une commission extra-municipale « Écologie-Mairie  » (Écomair) qui va réaliser un descriptif complet des fonds sous-marins toulonnais sur près de 2000 hectares. Ce travail soulignera l’importance des herbiers de posidonies pour la survie de la faune marine et les risques que faisaient courir à la faune et à la flore les rejets des stations qui n’étaient pas encore d’épuration.
Parc océanographique, inventaire des fonds marins, le troisième volet de l’activité de Philippe va être la protection de ce que l’UNESCO appelle maintenant le « patrimoine culturel subaquatique  » avec la création, à partir de 1980, du GRAN, (le Groupe de Recherche en Archéologie Navale) avec les incontournables scientifiques et plongeurs souvent démineurs, Max Guérout et moi-même. Il nous orientera sur l’archéologie sous-marine postmédiévale alors peu connue et participera personnellement à plusieurs chantiers comme celui de la Slava Rossii, ce navire de guerre russe coulé en 1780 sur l’île du Levant ou de la Lomellina, nef génoise naufragée en 1516 en rade de Villefranche.
Jusqu’à sa disparition, Philippe suivra de très près les autres travaux du GRAN : les inventaires d’archéologie sous-marine en Martinique et en Polynésie, les recherches de La Cordelière en Bretagne et de la Grande Maîtresse à Toulon. Il s’intéressera aussi aux réunions organisées par l’UNESCO qui aboutiront le 2 novembre 2001, à l’approbation par l’assemblée plénière de cette organisation d’une « charte pour la protection du patrimoine culturel subaquatique.  » Et comme beaucoup d’entre nous, il regrettera l’abstention de la France dans ce vote final, abstention due plutôt à des considérations juridiques et diplomatiques qu’archéologiques et qui va retarder les possibilités de lutte contre les « chasseurs de trésors  ».
Le Visionnaire
L’âge venant, Philippe va être obligé de restreindre ses activités où il s’impliquait intellectuellement mais aussi physiquement et où la rencontre de « l’autre  » était presque aussi importante que l’action engagée. Ceux qui ont travaillé avec Philippe, par exemple aux opérations Poseidon, se rappellent ces soirées dans un des forts de Port-Cros, où par son verbe poétique, il les entraînait dans son monde un peu magique des océans protégés.
Et c’est ainsi que pendant ses vingt dernières années, il va concentrer sa réflexion et ses actions sur deux thèmes : l’un du domaine de l’avenir, le projet « Archipela-ego  », l’autre du domaine plutôt du passé, il voulait laisser non pas ses mémoires mais une sorte de testament.
Par Archipela-ego, Philippe veut empêcher la main mise par les nations sur la surface des océans, l’espace qui les entoure et les profondeurs sous-marines. Il lutte pour préserver le dernier espace de liberté au monde : les mers. Le projet comporte l’édification en plein Pacifique sud d’un archipel flottant qui abriterait surtout une université de l’espace et de la mer « inter-mondiale  » reliée à une station spatiale et une station sous-marine.
Philippe ira présenter ce projet de nombreuses fois dans le monde entier. Son utopisme comme l’humanisme de ses propositions lui attireront un certain succès surtout aux États-Unis et au Japon d’autant plus que cet utopisme est plus du domaine des idées que du domaine technique. Le concept des « plates-formes navales autopropulsées  » existe et il est sà »r que d’ici à quelques dizaines d’années, elles abriteront des ports, des aéroports, des usines... mais recevront-elles des universités internationales ? La graine a été semée, rien n’a encore poussé et rien ne poussera probablement tel que l’a envisagé Philippe mais comme le
dit son ami l’architecte marin Jacques Rougerie « l’utopisme est indispensable au progrès de l’Homme  ».
La dernière démarche envisagée par Philippe était d’écrire une sorte de testament pour lequel il avait d’ailleurs trouvé un titre prophétique : « Un océan d’incertitude  ». Mais cet océan était encore trop vaste pour que Philippe puisse en arrêter les contours avant ce 26 septembre 2002. Comme tout un petit groupe de ses amis, nous sommes allés maintes fois, avec Max Guérout, le voir dans sa petite maison de pêcheur du Mourillon à Toulon. Nous lui
disions : « Philippe, on va travailler sur l’océan, on vous écoute, on prend des notes.  » Alors l’incertitude commençait. Philippe réfléchissait tout haut sur le plan du livre, sur tel épisode de sa vie. C’était aussi émouvant que passionnant, mais les notes prises n’ont jamais pu
constituer ce livre que Philippe a donc emmené avec lui.
Il n’a pas été un grand communicateur. Il comptait plus sur la valeur de ses idées pour leur diffusion que sur le tapage médiatique. Mais par ses écrits et surtout par son exemple, il a créé une sorte d’ « école  », de philosophie, sur l’universalité de la mer, sur « la nécessité de conquérir harmonieusement deux territoires infinis (l’espace et les profondeurs)  » comme l’écrit Patrick Mouton.
La plongée a eu plusieurs pères. Philippe fut l’un d’entre eux, mais surtout il a été un des premiers écologistes et sans en commettre les excès car ce fut un homme de mesure.
Depuis la Méditerranée où ses cendres ont été dispersées, Philippe Tailliez continue à nous adresser une grande leçon sur le respect à accorder à l’Homme et son univers. Neptune fasse qu’elle soit entendue...
Amiral (2e s) Jean-Noë l Turcat de l’Académie de Marine
La Revue Maritime N°464 (Février 2003)
[1] L’avion populaire d’Henri Mignet plus proche en structure d’un avion de tourisme que d’un ultraléger motorisé.
[2] De 1950 à 1953, Le Marcel Le Bihan fit d’abord campagne à Dakar puis en Extrême-Orient. En 1953, il fut placé en réserve spéciale B à Toulon. Réarmé le 1er novembre 1959, il fut déclassé en gabare et, en juillet 1961, affecté au groupe des bathyscaphes. En 1975, il passa au GISMER comme bâtiment d’expérimentation. Au 1er janvier 1978, il a été renommé Gustave Zédé.
Messages
1. Philippe tailliez et le Musée Frédéric Dumas, 23 juin 2017, 16:52, par Loridon gérard
En 1995 Philippe Taillez qui fut mon pacha au GERS en 1954 et mon ami par la suite, a inauguré le Musée Frédéric Dumas à Sanary.(Var) et en est devenu Président d’honneur jusqu’à sa disparition.
C’est grâce à lui et avec lui que le musée et surtout la mairie de Bandol, le Dr Suquet en étant le maire, qu’a été mise en place une stèle avec plaque commémorative plage de Barry , faisant état de la première plongée de JY. Cousteau en juin 1943
Enfin Philippe Taillez est l’inventeur du mot "Mousquemers" lors d’une conférence qu’il présentait aux Embiez.
Quand je lui ai demandé l’origine de cette appellation, il m’a répondu :
"Gérard, mousquetaires c’était trop terrestre alors j’ai pensé à Mousquemers"
Voir en ligne : Gérard Loridon